La vie avait mal commencé pour Lee Miller, petite américaine originaire de Poughkeepsie, dans l’Etat de New York. Exploitée par son père qui la force à poser nue devant son objectif à l’âge de 7 ans, Lee Miller a vite eu des comptes à rendre avec la photo. A 20 ans, elle redevient la proie des flash et entame une carrière de mannequin chez Vogue. Mais son caractère déterminé et intrépide la poussera beaucoup plus loin, jusqu’au front des combats de la Seconde Guerre mondiale.
Car Lee a décidé de mordre la vie à pleines dents, sans attendre que le destin l’invite à table. Cette personnalité bien trempée lui vaut d’être rapidement repérée par les plus grands photographes de l’époque (Edward Steichen, George Hoyningen-Huene, Arnold Genthe) et de devenir la muse d’illustres figures du mouvement surréaliste. Picasso et Man Ray en feront leur chouchoute. Aux côtés de ce dernier, elle apprend les code de la photographie surréaliste et passe définitivement de l’autre côté de l’objectif.
En 1934, elle épouse un riche homme d’affaire égyptien, Aziz Eloui Bey, qu’elle quittera cinq ans plus tard pour les bras de Roland Penrose, un artiste anglais rencontré à Paris. À peine s’installent-t-ils tous les deux à Londres que, déjà, les sirènes d’alerte aux bombardements allemands retentissent dans toute la ville. Les autorités américaines rappellent tous les expatriés à rejoindre au plus vite leur terre natale, mais la jeune photographe n’a pas l’intention de se mettre à l’abri. Elle retourne chez Vogue UK, en tant que photographe cette fois. Le blitzkrieg londonien sera l’occasion pour l’artiste de s’essayer à la photographie de terrain, loin des shootings de studio.
“I think she wanted to stay and try and do something. And nobody was going to give her a gun or an airplane, or something useful like that—so she used her camera.” Antony Penrose, fils unique de Lee Miller
1942 sonne l’heure de sa consécration. Elle devient l’une des quatre femmes photographes accréditées par les Etats-Unis en tant que correspondante de guerre. Tout de suite, elle se démarque de ses consoeurs en allant au plus près des événements. Le D-day, la libération de Paris, la découverte des camps, l’afflux de migrants,… Lee Miller couvre toutes les grandes dates de cette guerre tragique. Elle y photographie les hommes, les enfants et, surtout, les femmes, ces « unarmed warriors » (guerrières sans armes) qui remplacent les hommes aux postes qu’elles ont parfois convoités toute leur vie. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des policières, des pilotes d’avion, des électriciennes et des agentes secrètes font leur apparition partout en Europe et aux Etats-Unis.
Lee Miller est là pour capturer le cran, la ferveur, la vitalité et le courage de toutes ces femmes qui, elles aussi, ont retroussé leurs manches quand la guerre a éclaté. On les voit fortes, fières et indépendantes de toute tutelle masculine. En France, les femmes n’ont pas encore le droit de vote. Elles n’ont pas non plus le droit de travailler sans l’accord de leur père ou de leur mari. Ces photos sont une bouffée d’air frais et vivifiant dans la lourdeur de cette guerre masculine qui n’en finit pas de tuer. Vingt ans avant l’abolition de l’obligation pour les femmes à obtenir l’accord de leur mari pour ouvrir un compte en banque, Lee Miller proclamait déjà leur droit à disposer de leur propre destin.
“Miller could be hypercritical of women where she felt they were not doing full justice to themselves or their gender. But she was enormously sympathetic to women she respected.” Hilary Roberts, conservatrice de l’Imperial War Museum à Londres
En 1945, la guerre se termine et laisse place au devoir de mémoire. Le 30 avril 1945, Hitler et son épouse se suicident pour échapper à leur arrestation par l’Armée Rouge. Lee Miller se trouve alors en Allemagne pour rendre compte du cauchemar des camps. Au même moment, les alliés reprennent Munich et découvrent l’appartement du défunt dictateur, laissé à l’abandon depuis 1938. Lee et son ami photographe David E. Scherman décident de se rendre ce lieu funeste. La jeune femme est photographiée nue, se savonnant dans la baignoire du dictateur, après avoir conscencieusement posé ses bottes crottées de la boue de Dachau sur le paillasson blanc. C’est cette photo qui rendra célèbre la femme, et non l’artiste. En effet, traumatisée par la vision abominable des charniers de la Shoah, elle planque ses 60 000 négatifs dans le grenier de sa maison du Sussex. C’est son fils, Antony Penrose, qui, à sa mort en 1977, rendra les clichés publiques et son talent célèbre.
Lee Miller marque à jamais son empreinte dans l’histoire de la photographie par ce regard élogieux posé par une femme sur les femmes, durant cette période si particulière où les codes sociaux et moraux ont explosé, pour le pire et, parfois, pour le meilleur.
« And where do they go from here – the Servicewomen and all the others who, without the glamour of uniform, have queued and contrived and queued, and kept factories, homes and offices going? Their value is more than proven: their toughness where endurance was needed, their taciturnity when silence was demanded, their tact, good humour and public conscience; their continuity of purpose, their submission to discipline, their power over machines… how long before a grateful nation (or, anyhow, the men of the nation) forget what women accomplished when the country needed them? It is up to all women to see to it that there is no regression – that they go right on from here. » Audrey Withers, éditrice, Vogue UK, juin 1945
Crédit photos: Lee Miller Archives
Super article ! Lee Miller est une photographe que je respecte énormément. J’ai hésité à réaliser mon mémoire de fin d’études sur elle d’ailleurs :)
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Je l’ai découverte récemment au hasard sur facebook je suis fascinée. Je pense commander la bio qu’a écrite son fils. Et j’ai aussi vu que son biopic allait bientôt sortir au cinéma… Espérons qu’il sera fidèle à son histoire :/
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Magnifique! J’adore Lee Miller elle fait parti de mes photographes préférés <3 Joli article et j'adore la rubrique "femmes remarquables" :D
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Oh c’est vrai ? Ca me fait plaisir j’ai toujours peur d’être un peu barbante, tu me rassures :)
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non non vas y fonce! en plus tu sais bien écrire (pas comme moi XD) ça me fait des petites lectures de culture bien sympa :3
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