Marian Anderson, première cantatrice afro-américaine

Sa douceur et son élégance légendaire cachent une volonté de fer et une passion ardente pour la musique. Sa voix de contralto la mènera loin, plus loin que les chanteuses noires qui l’ont précédée. Marian Anderson (1897-1993) était née sous une bonne étoile.

Marian Anderson noire

Dès l’âge de deux ans, sa mère la voit qui touche à tout ce qui fait du bruit. A trois ans, elle chantonne et apprend à ses sœurs les airs qu’elle entend à l’école. Cette petite fille a quelque chose de spécial et son entourage le sait. Mais son père est mineur, sa mère ne travaille pas et l’argent manque pour lui offrir de vrais cours de musique. Le jour de ses six ans, sa tante casse la tirelire et lui offre un violon acheté dans une brocante. Deux ans après, son papa décide de faire l’acquisition d’un piano. Mais là encore, des cours seraient au dessus de leurs moyens et la petite Anderson apprend en autodidacte.

Marian Anderson concert

À la même époque, elle rejoint la chorale de la paroisse et sa passion pour le chant prend le dessus. « Dès qu’une pièce se montait à l’église, Marian prenait d’assaut le rôle chantant. Non seulement elle apprenait ses lignes, mais aussi celles des autres » racontait sa maman. Lorsque son père décède lorsqu’elle n’a que 12 ans, elle est obligée de mettre le chant de côté pour se former au métier de secrétaire et aider sa maman à supporter les dépenses de la famille. Une professeur de chant de Philadelphie, qui a entendu parler d’elle, lui propose des cours gratuits. Quelques temps plus tard, la paroisse décide de se mobiliser pour offrir à ce jeune talent les cours de Giuseppe Boghetti un professeur de chant américain prestigieux. Celui-ci la convainc de tenter sa chance à l’Académie de Musique de Philadelphie, mais elle est finalement recalée en raison de sa couleur de peau.

« Je crois que je n’ai pas dit un mot. J’ai juste regardé cette fille, choquée que de tels mots puissent venir de quelqu’un de si jeune. […] Je ne me suis pas énervée, je n’ai pas demandé à voir son supérieur. C’était comme si une horrible main froide s’était posée sur moi. Je me suis retournée et je suis partie. »

Marian Anderson afro-américaine

Tant pis, la jeune Marian se passera de prestige pour réussir. Elle se remémore un moment marquant de son enfance :

« Je marchais dans la rue lorsque j’ai entendu le son d’un piano. J’ai posé mon panier et j’ai regardé à travers la fenêtre. J’ai vu une femme assise à un piano, qui jouait merveilleusement. Sa peau était noire comme la mienne. J’ai réalisé que si elle pouvait jouer, moi aussi j’en avais le droit. »

Marian Anderson chanteuse

Ce souvenir demeure un pilier auquel elle se raccroche chaque fois que la société ségrégationniste d’avant guerre lui claque la porte au nez. Peu importe, Marian trouvera d’autres rampes d’accès à la scène. Comme en 1939, lorsque son manager (elle a déjà gagné en notoriété) tente de lui négocier un concert au Constitution Hall de Washington. Les gérants répondent qu’aucune date n’est disponible, avant d’admettre qu’en réalité, une clause leur interdit de présenter des artistes non blancs. La nouvelle fait un scandale et remonte jusqu’au oreilles de la Première Dame de l’époque, Eleanor Roosevelt.

Celle-ci offre à Marian sa revanche en lui organisant un gigantesque concert devant le Lincoln Memorial, à l’occasion du lundi de Pâques . Ce monument sensationnel érigé à la gloire d’Abraham Lincoln, 16e président des Etats-Unis, abolisseur de l’esclavage est un symbole fort pour la jeune cantatrice. Beaucoup, à l’époque, pensent d’autres auraient mérité sa place par leur talent supérieur. Mais Eleonor insiste. Ce concert est un message, le signal fort que la société doit changer. L’événement est un immense succès. Près de 75 000 personnes sont venues écouter cette voix douce et chaude.

Marian Anderson cantatrice

Un tabou est brisé. En 1955, elle est la première chanteuse afro-américaine à monter sur la prestigieuse scène du New York Metropolitan Opera. Mais, contrairement aux autres cantatrices à succès, les hôtels et les restaurants de luxe lui sont refusés. Pas question d’accueillir une personne de couleur, aussi célèbre soit-elle. Marian en a assez de ces affronts : elle s’arrange pour dormir chez des amis et s’achète une voiture pour éviter l’humiliation des voyages en train où les conditions de voyage pour les afro-américains sont pires que minables.

En 1964, elle met fin à sa carrière en entamant une dernière tournée qu’elle achève, insolemment, au Constitution Hall qui l’avait humiliée vingt ans plus tôt. La musique l’a emporté sur l’intolérance. 

Marian Anderson musique

P.S. De blanchisseuse à entrepreneuse, l’incroyable ascension de Madam C.J. Walker

2 Commentaires

  1. Magnifique portrait d’une grande dame! Je ne connaissais pas, quel destin extraordinaire!

    Aimé par 1 personne

  2. Magnifique découverte ! Article très intéressant, comme toujours ;)

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire